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Fernando d'Almeida: «Nous allons tous mourir un jour …»

  • lundi, Mar 23 2015
  • Écrit par  Edmond Kamguia K.

Né à Douala le 19 avril 1955, Fernando d'Almeida est décédé le lundi 23 février 2015 à son domicile au quartier Bonamoussadi, à Douala. Des suites d’une insuffisance rénale. Il a été inhumé dans sa ville natale, au cimetière de Deido le samedi 14 mars 2015

. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages  de poésies et d’études littéraires,  Fernando d'Almeida a parcouru plusieurs  continents, sillonné l’univers, comme enseignant, écrivain-poète,  journaliste et légué un impressionnant héritage à la postérité.  Il nous avait accordé une grande interview pratiquement un an après la mort du Directeur de publication du quotidien Le Messager  Pius Njawé qui était un de ses amis de longue date.

Pour rendre hommage à Fernando d'Almeida, nous avons jugé utile  de  faire partager une bonne partie de cet important entretien qu’il avait accepté volontiers d’accorder à La Nouvelle Expression. Le prétexte    de  cette interview était l’hommage qu’il rendait  à son ami Pius Njawé.  Cette interview qui lui tenait à coeur n’a jamais été publiée. Simplement parce que Fernando d'Almeida était un perfectionniste.  Il tenait à la lire, à  la recorriger, à modifier ceci ou cela, à ajouter ou à enlever tel mot ou telle phrase.  Comme s’il voulait en faire un chef d’œuvre. Comme s’il attendait le moment opportun de sa publication dans  le quotidien La Nouvelle Expression.

Nous avons attendu en vain son feu vert pour la publier. Jusqu’à ce qu’il  nous dise un jour en riant que nous allons  peut-être la publier quand  il ne serait plus là. Nous  avons rigolé ensemble autour  d’une bière. C’était la dernière fois qu’on en parlait. Cette mouture de l’interview de  Fernando d'Almeida est un texte  expurgé des propos qui ne cadrent plus avec l’actualité ou qui ne conviennent plus en de telles situations. Hormis la littérature, Fernando d’Almeida, qui nous avait permis de visiter et de commenter son impressionnante bibliothèque à son domicile,  avait son opinion sur un certain nombre de sujets d’actualité  nationale et  internationale. 



Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et surtout expliquer  l’origine de votre nom ?

Je suis le  fils de Pierre d'Almeida et d’Hélène Ndomè. Mon père était un cheminot qui travaillait à la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun (Régifercam).Un béninois de descendance noire brésilienne. Ma mère est une Camerounaise de l’ère culturelle Sawa. Une fille de Bonantonè, à Deido. Il y a deux pays  en  moi. Cette appartenance à deux pays est fondamentale pour moi. C’est-à -dire l’appartenance  au Cameroun  et au  Bénin. J’ai eu  un aïeul portugais qui fut  un esclave affranchi retourné en Afrique avec le nom de son ancien maître. J’ai  étudié au Bénin et en France avant d'entreprendre des études supérieures à Paris. J’ai  fait des études de Lettres à l’Université Paris XII et Paris IV, en France.  Je suis diplômé d’Études approfondies (Dea) en littératures et civilisations d’expression française de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. J’ai eu mon doctorat  ès Lettres à  l'Université Paris-Sorbonne. Je suis enseignant-chercheur à la Faculté des lettres et sciences humaines à l’Université de Douala. J’enseigne depuis une bonne vingtaine  d’années les littératures française, belge et québécoise à l'Université de Douala.


Vous dites que  votre appartenance à deux pays est fondamentale pour vous. Que pensez-vous de Samba Diallo, le personnage de Cheikh Hamidou Kane dans « L’Aventure ambiguë » qui se trouve dans l’impossibilité de choisir entre deux univers culturels, deux religions et deux conceptions de la vie et du monde ?


Je vois où vous voulez en venir. J’ai lu « L'Aventure ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane. Je vois le texte auquel vous faites allusion. C’est quand Samba Diallo confesse ce qui suit : «Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d'une tête froide ce que je puis lui prendre et ce qu'il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n'y a pas une tête lucide entre deux termes d'un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de n'être pas deux». 

En ce qui me concerne,  je ne connais  aucun déchirement culturel. Quand  je dis qu’il y a deux pays  en  moi, c’est une réalité que j’assume. Les pays de mon père et de ma mère ont fait de moi ce que je suis. C’est pourquoi  je dis que l’appartenance à ces deux pays est fondamentale pour moi. Il y a au Cameroun comme au Bénin des religions traditionnelles, le christianisme  et l’islam. Ce sont deux pays frères dans  un même continent. Bien qu’ayant fait des études au Benin et en France, je ne me sens pas du tout  perturbé par la croisée des mondes africains et occidentaux.


Vous avez  plusieurs casquettes. Pouvez-vous les dérouler.  Dans laquelle vous sentez-vous le plus à l’aise ?


C’est vrai qu’en plus  de l’enseignement, je suis poète et critique littéraire. J’ai aussi exercé  le métier  de  journaliste. Notamment à La Presse du Cameroun et au quotidien national Cameroon Tribune où j’animais la rubrique culture pendant plusieurs années. J’ai aussi  animé la revue Les Cahiers de l'Estuaire et collaboré à plusieurs périodiques dont Bingo. J’ai été  conseiller de  directeurs de publications. J’ai donné un coup de main au secrétariat  de rédaction du journal La presse de la nation d’Honoré De Sumo. J’ai  encadré des jeunes poètes et des jeunes  journalistes. J’ai participé  à la création de plusieurs  journaux et dirigé la cellule de communication au ministère de l'Enseignement supérieur.  J’ai rédigé  plusieurs  ouvrages  de poésies et d’études littéraires.  Je me définis d’abord comme un poète. Je suis à l’aise  dans la poésie. J’ai eu l’honneur d’être  le premier Africain à recevoir le 28 novembre  2008 le Grand Prix de Poésie Léopold Sédar Senghor décerné par la Maison africaine de poésie internationale (Mapi). J’ai  été fait  citoyen d'honneur de la ville de Joal-Fadhiouth, la ville natale de Léopold Sedar Senghor.


Vous avez publié  depuis 1976  de nombreux d’ouvrages de poésies et d'études littéraires.  Quand avez-vous commencé  à rédiger  un  texte ?


J’ai  débuté avec la prose à l’âge de 11 ans.  A l’âge de 15 ans,  mon amour pour la poésie coïncide  avec la découverte  de  l'œuvre de Saint-John Perse, Prix Nobel de la littérature. Je suis resté dans la poésie. Le roman était plus facile pour moi et la poésie plus difficile, mais je voulais affronter  cette difficulté. 


Etes-vous  parvenu  à affronter efficacement cette difficulté ?


Je ne sais pas. C’est aux autres de juger.


Qu’est-ce qui vous plait dans la littérature québécoise ?


Dans mon cursus universitaire, j'ai choisi d'étudier la littérature québécoise. Je pars au Québec pour la première fois en 1991 à l’occasion du Festival international de la poésie de Trois-Rivières. J’ai  lu  Gatien Lapointe, Jacques Brault et plusieurs  essayistes. Je m’étais rendu compte que si j'étais au Canada et que si j'avais les structures appropriées, je publierais cinq livres chaque année. J’ai  dédié mon  recueil  édité aux Écrits des Forges à Gaston Bellemare. C’est  sous  sa direction que le  recueil a été édité. Je vais vous raconter  une anecdote. Ma mère  m’avait  posé un jour  cette question avec étonnement : «Comment est-ce  que les Blancs te paient un billet d'avion pour que tu ailles lire des poèmes au Canada?» Vous vous rendez  compte ? Je suis particulièrement attiré vers  les écrivains québécois par la question de l'identité.  Le Québec a un problème d'identité, de recherche identitaire, de quête de lieu. Je suis un homme de transplantation, de deux cultures. Je suis un être à la recherche de soi. C’est ce  qui me rapproche du Québec. J'ai beaucoup lu pour ma propre curiosité.  J'ai découvert les autres littératures. J’ai découvert  Gaston Miron dans une anthologie et bien d’autres écrivains et poètes. 


Pouvez-vous  mesurer  l’impact du décès de votre épouse sur votre  vie et sur votre poésie ?


Mon épouse est décédée des suites du cancer du sein en 2001. J'ai vraiment douté que je puisse dire quelque chose de beau à une autre femme. Mais finalement, j'ai rencontré quelqu'un qui m'a permis de sortir de cet enfermement, de revivre un autre amour après une perte douloureuse.  J’ai créé le concept de  « Poérotique » pour  designer  la poésie érotique.  J’ai  consacré une partie de ma création au concept poérotique. C’est une  manière d'écrire qui est nouvelle. Je brise des tabous en utilisant le vocabulaire érotique. J’ai publié  « L'évangile du coït » en 2009. Je sais que l’expression peut déranger des oreilles sensibles ou puritaines.  Il faut lire ce texte pour se faire une idée  de ce que je veux dire. Il ne faut pas voir la femme que de l'extérieur. Il faut la prendre comme une totalité. C'est grâce à la femme que nous venons au monde. Je pense que tout ce qui fait d'elle une femme doit être magnifié et  sublimé.

Quels sont vos  thèmes préférés ?


Hormis l'identité et la terre, mes poèmes  évoquent la vie, l'amour, la femme et la mort. «Didascalies d’un séisme» a été écrit dans l’urgence. C’est un Poème d’une centaine  de pages paru en février 2010 aux éditions Opoto de France, à St-Pierre d’Oléron. J’ai écrit ce recueil de poésies  du 17  au 27 janvier 2010.  J’ai  été motivé et inspiré  par  le tremblement de terre  qui  a secoué  Haïti  le 12 janvier 2010. Il y a eu des milliers de morts et des sinistrés dans l’île. Cela m’a touché. Le tremblement de terre a détruit la majorité des bibliothèques d’Haïti.  J’ai apporté ma  modeste contribution au renouveau des équipements de lecture publique à Haïti. J’ai versé mes droits d’auteur à Bibliothèques Sans Frontières afin d’aider à la reconstruction des bibliothèques. Les Editions Opoto  se sont aussi engagées à verser la totalité du bénéfice réalisé par les ventes du livre à cette association. Toujours  en 2010, j’ai  publié à Paris, aux éditions Le Manuscrit, «La Muse de la Meuse». Un ouvrage  de  quelques 340 pages. Pour le rédiger,  j’ai participé à une résidence d’écrivain à Charleville-Mézières en France, chez Rimbaud.


Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience de journaliste ?


Je garde beaucoup de souvenirs  de la période où j’étais journaliste. Surtout  au quotidien  national Cameroon Tribune.  Ils sont si nombreux que je ne sais par quel bout commencer. Il y a eu de grands moments dans  ma vie de journaliste, des rencontres  avec des grandes personnalités d’ici et d’ailleurs, des voyages, des reportages, etc. J’en ai gardé de bons souvenirs. 

Quels sont les écrivains et poètes qui vous ont le plus marqué  en Afrique et au Cameroun ?


J’ai lu et rencontré  de nombreux  écrivains et des poètes à travers le monde entier. Sur plusieurs continents. Dans le domaine de la poésie, l’ancien président sénégalais  Léopold Sedar Senghor et  les Camerounais Paul Dakeyo et Patrice Kayo m’ont le plus marqué par la qualité et la profondeur de leur poésie.


Le Directeur fondateur du quotidien Le Messager Pius  Njawé  est décédé aux Etats -Unis le 12 juillet 2010 dans  un accident de circulation. Comment ave z-vous connu Pius Njawé ? Qui était-il pour vous et quels souvenirs gardez-vous de lui ? 


La mort de Pius Njawé m’a profondément touché. C’était  un frère et un ami de très longue date.  Quand j’ai appris  sa mort,  j’ai pensé à tous les êtres  chers que j’ai perdus. J’ai pensé à sa femme Jane, morte comme lui dans un accident de circulation.  Je me suis interrogé sur cette coïncidence. Le Directeur fondateur du quotidien Le Messager menait  des campagnes contre les accidents de circulation. J’ai pensé à une ironie du sort.  Pius Njawé était vraiment  un ami et un frère. Pius Njawé était mon petit frère. Je garde  beaucoup de souvenirs mémorables de notre  relation.  On a vécu des choses ensemble. Je l’ai orienté, encadré et  soutenu quand il avait le plus besoin à ses débuts.    J’ai apporté ma modeste contribution  à  sa culture et à son éducation. Je lui ai donné  des conseils  utiles à l’époque,  quand il voulait  donner un  sens à sa vie. Pius Njawé aimait beaucoup la poésie,  le théâtre et le journalisme. On se retrouvait souvent pour évoquer tel poète ou tel poème. On avait de l’estime et du respect l’un pour l’autre.  La disparition  de Pius Njawé laisse un grand vide au Messager et dans sa famille. Je saisis cette occasion pour adresser une fois de plus mes condoléances à sa famille et à tous les journalistes, collègues  et collaborateurs du Messager qui ont la lourde  charge de continuer son oeuvre.


Après Pius Njawé, Thomas Eyoum à Ntoh a cassé sa plume le lundi 6 septembre 2010 et a été conduit à sa dernière demeure au cimetière  de Deido le  25 septembre 2010. La profession de journaliste au Cameroun est-elle traversée par un mauvais vent ?


Nous allons  tous mourir un jour. Après Pius Njawé, Thomas Eyoum à Ntoh qui a travaillé avec lui au Messager a aussi tiré sa révérence. A chacun son tour….  Il y a un temps pour tout et un moment pour chaque chose. Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir.  C’est ce que  dit l’Ecclésiaste dans la Bible. Pius Njawé et Thomas Eyoum à Ntoh sont  deux grands  journalistes qui ont laissé  des traces sur leur passage. Ils n’ont pas vécu en vain. Leurs plumes sont immortelles. Que leurs âmes reposent en Paix.


Un candidat de l’opposition peut-il accéder au pouvoir par les urnes au Cameroun ?

Je n’aime pas aborder les sujets  politiques. Il y a trop de passion et de polémique dans les débats politiques. J’observe que le processus  de démocratisation  se poursuit. Avec l’éternelle controverse sur les élections frauduleuses. C’est devenu très difficile pour l’opposition d’accéder au pouvoir  par les urnes au Cameroun. Surtout après la modification de la constitution en 2008. Le verrou sur la limitation du mandat présidentiel a sauté.


Comment voyez-vous l’avenir de la presse au Cameroun ?


La presse a joué un grand rôle dans ce pays. Notamment  dans le combat pour l’avènement d’une société libre et démocratique au Cameroun. La situation a beaucoup évolué. On est passé du régime de d’autorisation à celui de déclaration. La censure a été abolie. Il y a de bons et de mauvais journaux.  Il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Il y a un gros problème de culture chez de nombreux journalistes au Cameroun. Il y a de la place pour des journaux sérieux et pour des chaînes de radio et de télévision qui  respectent les règles professionnelles, éthiques et déontologiques. 


Croyez-vous qu’un jour  les Etats-Unis d’Afrique deviendront une réalité ?


Ça dépend des dirigeants  africains et des peuples africains.  Je suis optimiste.  C’est  un processus  irréversible. 


Entretien mené par Edmond Kamguia K.






 

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Publié dans CULTURE

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